Le Diable déguisé
Du feu, du paso doble, des timbales et des feux d'artifice… La Seguici populaire conduit le festival de sainte Thècle jusqu'à son point crucial, lorsque des milliers de Tarragonins (habitants de Tarragone) se rassemblent dans les rues de la Parta Alta pour ne rien manquer des festivités. Ouvrant la longue procession, le Ball de Diables (bal des Démons) avance en faisant crépiter toute la poudre de l'Enfer. L'intensité est extrême. Satisfaits, les Démons sourient à pleines dents : les Tarragonins ne lésinent pas sur la dépense quand il s'agit d'honorer leur sainte patronne. Et si les cloches carillonnent leur vertu depuis les cieux, les Démons convoquent tout le catalogue des si terrestres vices humains.
« Un monde unique, et deux puissances qui se complètent l'une l'autre. Sans méchants, il n'y aurait pas de héros. » Txema Gavaldà dit qu'il fait partie des héros. Casteller (participant aux tours humaines), marié, deux enfants, il travaille comme ouvrier dans l'industrie chimique. C'est un homme responsable, doux et raisonnable. Mais pendant les festivités de Tarragone, il est possédé. Il n'arrive plus à manger ou se reposer convenablement, et ne suit plus aucun programme—le temps est venu pour son alter ego de surgir : La Diablesa (la Démone) un personnage qu'il incarne depuis 1990 au cours du Ball de Diables. Le plus maléfique de tous les démons.
Commune, grotesque, lascive... la partenaire de Lucifer tire la langue, soulève ses jupons et pourchasse tous ceux qui passent près d'elle. « La Démone a du charme, elle me séduit, me transforme. Soudainement, je perds toute ma timidité, et je me sens vraiment bien. Dans sa folie complète, elle symbolise la perte de contrôle qui surgit durant les fêtes, et qui autorise n'importe qui à faire ce que la plupart des gens aimeraient faire, sans l'oser, » explique Txema.
Malgré les flammes et son aspect impostant qui commande le respect, sa barbe royale et son ceptrot (un bâton au bout duquel sont portés les feux d'artifice) permettent à la Démone d'être également l'un des personnages les plus appréciés. « Les enfants viennent me voir pour prendre des photos. Les jeunes n'ont jamais connu d'autres Démone que moi, » déclare-t-il.
La soi-disant « Bataille de saint Michel et des Démons », dont les racines remontent à Tarragone au XIVe siècle, fut ravivée en 1983. Elle montre le combat entre le bien, incarné par saint Michel, et le mal, 22 démons cornus menés par Lucifer et la Démone, l'un des groupes les plus appréciés et les plus populaires des festivités de Tarragone.
En fait, l'élément traditionnel est l'attrait indiscuté de sainte Thècle, une célébration massive déclarée Festivité patrimonial d'intérêt national par la Généralité. La Seguici, qui avait failli disparaît au XXe siècle, a été ravivée dans les années 1980 sous l'impulsion de la société civile, et peut désormais se targer d'un succès qui ne se dément jamais.
La Démone allume tant de carretilles (boîtes de feux d'artifice) à chaque représentation qu'il est impossible de les compter. Lorsque Txema était enfant, ses parents tenaient un bar sur Plaça de la Font, dans le centre-ville de Tarragone, et il lui était interdit de jouer avec des pétards durant le festival de Sant Joan (saint Jean) pour ne pas effrayer les clients.
Ses deux enfants et sa compagne participent également au Ball de Diables. L'un de ses garçons incarne à présent la Démone dans le bal des Enfants. Txema, qui est l'un des Catalans adorant le plus lancer des feux d'artifice, a fini par tomber d'accord avec son père. « Aujourd'hui, j'ai du mal à supporter les innombrables feux d'artifices de la saint Jean, » admet-il en riant.