Tarragone fut un jalon du Christianisme primitif en Hispanie
Janvier 259 ap. J.-C. Fructueux, évêque de Tarraco, et les diacres Augure et Euloge sont brûlés vifs sur un bûcher dans l'Amphithéâtre. L'empereur romain Valérien venait de promulguer des lois autorisant la persécution des Chrétiens ; l'exécution de ses guides spirituels est pour la communauté locale une vraie catastrophe. Le martyre de Fructueux et d'autres figures chrétiennes à la même époque permet cependant à la religion de progresser et se répandre plus rapidement ; peu de temps après elle est officiellement embrassée par tout l'Empire. À l'endroit même où Fructueux avait acquis sa sainteté une basilique dédiée au martyr est édifiée au VIe siècle, attirant des pèlerins de toute l'Europe.
Tarragone, la ville où, selon la tradition, Saul de Tarse est devenu Paul l'Apôtre au Ier siècle ap. J.-C., vit un événement dramatique très peu après le martyre de Fructueux. En effet, un an plus tard, des Francs d'une tribu barbare profitent de l'incompétence romaine pour mettre à sac Tarraco. Mais ces malheurs n'affaiblissent pas la foi des Chrétiens locaux. Plusieurs découvertes archéologiques, telles que les larges zones d'inhumation et les basiliques paléochrétiennes trouvées à proximité du fleuve côtier Francolí, mettent en avant la prépondérance de l'évêque de Tarraco sur les prélats de la péninsule, et fournissent des preuves que « Tarragone fut un jalon du Christianisme primitif en Hispanie », selon l'archéologue et bibliste Andreu Muñoz, président de l'association culturelle Sant Fructuós.
Les récits décrivant avec moult détails le martyre de saint Fructueux depuis le moment de l'arrestation des clercs à celui de leur glorification, deviennent très populaire aux IVe et Ve siècle. Un des pères de l'Église, saint Augustin, écrit un sermon à leur sujet, et son contemporain le poète Prudence lui consacre le sixième poème de son Peristephanon. À la même époque, la communauté chrétienne croît parallèlement à la nouvelle puissance ecclésiastique de Tarragone, transformant la ville toute entière. Certains bâtiments publics sont abandonnés, comme le Cirque et le Théâtre, tandis qu'à l'extérieur des murailles un nouveau grand complexe religieux et sépulcral prend forme.
L'Association de Muñoz, qui est archéologue à l'Archevéché et dirige le musée biblique de Tarragone, a conçu une route touristique culturelle et religieuse mettant en avant les Premiers Chrétiens de Tarraco. L'itinéraire inclut des monuments qui se réfèrent au développement de la Chrétienté dans la société romaine de l'Antiquité tardive : la Chapelle de Saint Paul, la Cathédrale et son Musée diocésain, le Musée biblique, l'Amphithéâtre, le Forum de la Colonie, la Basilique du parc central, la Nécropole paléochrétienne et le Conjunt de Centcelles.
« La Catalogne ne naît pas au Moyen-Âge. Tarragone possède un patrimoine romain tardif exceptionnel, et affiche une dualité unique dans son entremêlement des patrimoines classiques et religieux. Les Premiers Chrétiens n'étaient pas sectaires, ils étaient à la fois romains et chrétiens. Leur mode de vie romain explique en partie qui nous sommes, mais il a souvent été relégué à la portion congrue en raison de préjugés séculaires. » La route des Premiers Chrétiens a pour ambition de remédier au déficit actuel de connaissances. Dans un contexte où les nouvelles générations sont devenues incapables de comprendre le symbolisme et l'iconographie religieux, « nous sommes contraints de diffuser la bonne parole du patrimoine paléochrétien, non à des fins religieuses, mais pour répondre à un besoin culturel, » déclare Muñoz.
Muñoz est impliqué dans des recherches qui auraient été impossibles sans sa vision, sa générosité et sa capacité à collaborer avec un grand nombre de partenaires. C'est notamment le cas d'une excavation dans la nef centrale de la Cathédrale qui a permis de découvrir, il n'y a guère plus de quelques années, les traces d'un temple romain dédié au culte d'Auguste ; ou l'excavation plus récente de la tombe de saint Fructueux, dont le succès a découlé des efforts combinés du gouvernement local, de l'archevêché et le l'Institut Català d’Arqueologia Clàssica.
« Par chance, l'époque où l'antique n’était considéré que comme du vieux est maintenant derrière nous. Le futur de l'archéologie repose sur la mutualisation des connaissances acquises et la capacité de diffuser les résultats en utilisant une langue qui puisse vraiment toucher la société. La science nécessite beaucoup d'humilité, des personnes ouvertes, et la collaboration de talents issus de disciplines variées. Et ce n'est qu'en appliquant cette nouvelle manière de pensée que nous parviendrons à soumettre le patrimoine de Tarragone à une réinterprétation constante, » conclut Muñoz.
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